Je porte l’enfant sur mes genoux. Dans le métro, je le garde contre moi, je veux le protéger. Mais c’est lui mon bouclier. J’écoute ce qui se dit mais personne ne parle vraiment. À part la voix qui annonce le nom des stations. Je ne sais pas si c’est un vrai métier de parler dans le micro. Elle doit faire ça en citant tous les noms de stations à la file. Jusqu’à épuisement. Dans la rame, tout le monde a ses propres oreilles branchées sur son monde. Personne n’écoute personne dans son coin. Le seul qui parle, à haute voix, c’est ce mendiant chevelu. Il dit s’excuser du dérangement et veut nous raconter sa fin. D’abord celle de cette journée. Il ne sait pas trop où elle finira. Il aimerait dormir dans un lit de fortune. Pour l’instant sa chambre à coucher, ce sont les cartons du carrefour city. Le trop plein des emballages en matelas recyclé. Ils font le job pour éviter le froid et l’humidité. Qui le croit ? Depuis l’orage d’hier soir, ils ne ressemblent plus à rien. Lui non plus d’ailleurs. Il dit qu’il a faim aussi. Personne n’écoute son histoire. Personne ne met la main à la poche. Ou alors la garde au fond. Chacun campe dans sa bulle. Il soupire mais ne leur en veut pas. La ligne 5 n’est pas la ligne de ceux qui en ont trop. Les parias se côtoient et prient de ne pas finir comme lui avec sa casquette et son débit de paroles automatiques. Comme si mendier était aussi devenu un geste déshumanisé parmi d’autres. Est-ce que chat gpt lui a écrit son speech ? Ses mots sont ciselés, tranchants, pas trop misérabilistes non plus. Assez clairs pour faire comprendre qu’il ne les prononce pas de gaieté de cœur. Juste, par cœur. L'homme me sourit. Je porte l’enfant contre moi. Lui regarde de ses yeux écarquillés les gens en train de cheminer sous terre. Loin du soleil et des brises marines. Je lui chuchote une chanson douce pour l’initier aux écouteurs. Je voudrais être son coquillage que l’on colle à l’oreille pour retrouver le bruit des vagues. J’esquisse un sourire résigné en espérant qu’il ne le voit pas. Je patiente avec lui, regarde le flux, le reflux des hommes, des femmes, des enfants et des chiens parfois. L’air est surchauffé. Chacun se bouscule de plus belle aux gares du nord et de l’est. Pas vraiment un échappatoire. Juste attraper un autre train. L’heure creuse n’a pas trouvé de place sur cette ligne. Les gares comme la république aujourd'hui sont en mode survie. Des stations de délestage. Des changements d’équipage. Rien ne change vraiment. Un accordéoniste tente de raviver le ciel de Paris dont personne n’a cure. Il est gris en ces premiers jours de septembre. A quoi bon le chanter sous terre. Plus personne ne le regarde en rêvant. Alors le chanter. Les téléphones sont les maîtres du je. Chacun le sien dans sa main en baissant la tête. Les sachants diraient que c’est un geste de soumission. Peut-être est-ce juste celui de l’évasion comme on peut. Chacun avance vers son horizon souterrain avant de retrouver le bitume au niveau de la mer. Je porte l’enfant qui aura la vingtaine au mitan du siècle. Je sais que je ne le porterai plus sur mes genoux. Je ne sais pas à quelle station de la vie nous serons arrivés. Je ne sais même pas si je serais là pour fêter ses 20 ans. J’ai le temps de me poser la question plus tard. J’arrive au bout de la ligne. Porte d’Italie. On dirait ce sont les vacances. Non. En fait. Tout le monde descend et remonte à la surface. Terminus. Faut bien s'arrêter quelque part.
mbur - brocauteur 09/24
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